Loi Descrozaille : quels impacts pour attirer et fidéliser des clients en GSA ?
par Sébastien Neveu, 14 mai 2024
Entrée en vigueur le 1er mars 2024, la loi Descrozaille encadre les promotions sur les produits non-alimentaires.
Dans la continuité des lois Egalim I et II sur les produits alimentaires, cette nouvelle loi, aussi appelée Egalim III, étend le plafonnement des promotions à 34% de la valeur aux produits du rayon DPH (Droguerie, parfumerie et hygiène).
Désormais, les grosses promotions sur les shampooings, les couches ou encore la lessive ne seront plus possibles. Fini les promos du style « 1 paquet de couche acheté, le deuxième à – 80% ».
Les acteurs de la grande distribution vont devoir s’adapter à cette nouvelle donne, sachant que la promotion est un levier couramment utilisé pour faire venir les clients en magasin.
Dans cet article, nous décryptons les enjeux et les impacts probables de la loi Descrozaille sur l’acquisition et la fidélisation client dans les GSA.
Loi Descrozaille : un encadrement des grosses promotions
La loi Descrozaille s’inscrit dans un arsenal législatif visant à protéger les producteurs dans les négociations avec la grande distribution.
Dans l’esprit du législateur, il s’agit d’éviter les pressions des enseignes de grande distribution sur leurs fournisseurs pour tirer les prix vers le bas et d’assurer ainsi leur rentabilité et leur pérennité.
Cette nouvelle loi, dite Egalim III complète les réglementations déjà en place sur les produits alimentaires. Les lois Egalim I et II protègent les rémunérations des agriculteurs. La loi Egalim I garantit le plafonnement des promotions sur les produits alimentaires.
Avec la loi Descrozaille, l’encadrement des promotions s’étend à des produits non-alimentaires. Chez les retailers, certaines voix s’élèvent pour critiquer cette mesure. Selon Alexandre Bompard, PDG de Carrefour, le plafonnement sur les produits DPH ne saurait se justifier par la défense des petits producteurs, puisque le marché est dominé par de grandes multinationales comme Unilever ou Procter & Gamble. Il ajoute que cette loi va, de plus, à l’encontre de la défense du pouvoir d’achat des Français, déjà touchés par l’inflation.
Dans tous les cas, même si elle ne signe pas la fin des promotions, la loi Descrozaille impose des limites qui rendent désormais compliquée la différenciation par l’ampleur des promotions. Pour s’adapter, les enseignes sont donc forcées de revoir leurs stratégies promotionnelles.
Des impacts très différents selon les typologies de consommateurs
Les distributeurs et les marques s’appuient régulièrement sur les promotions pour stimuler les ventes et favoriser l’écoulement des stocks.
Les promotions, portées par des campagnes de communication (prospectus, insertions presse, spots radio, publicité en ligne, …) contribuent attirer de nouveaux clients en point de vente et à générer des achats non anticipés chez les clients fidèles.
Comment les consommateurs pourraient-ils réagir à leur plafonnement ?
Un impact relativement limité sur les clients fidèles
Les consommateurs fidèles à une enseigne ne se déterminent guère en fonction des promotions. Ils sont beaucoup plus sensibles à l’expérience client, à l’image-prix de l’enseigne, à l’assortiment. Ils seront peu enclins à changer leurs habitudes.
La loi Egalim III pourrait cependant avoir un impact à la marge sur leur panier moyen, dans la mesure où ces clients fidèles réaliseront moins d’achats non anticipés.
De la même manière, la loi aura peu d’influence sur les consommateurs fidèles à une marque sur les catégories de produits DPH. Imaginons un couple de jeunes parents qui achète systématiquement des couches de marque Love & Green pour son bébé. Il continuera à préférer cette marque indépendamment des promotions pratiquées.
Un bouleversement des habitudes des clients promophiles ?
A l’inverse, certains consommateurs sont particulièrement sensibles aux promotions. Ils étudient avec attention les prospectus, comparent les promotions et, pour une catégorie de produits donnée, se tournent vers le magasin qui propose la plus grosse promotion. Ils n’hésitent pas à aller d’un point de vente à un autre pour bénéficier des meilleures offres et faire baisser leur panier global.
La loi Descrozaille risque de modifier les comportements de ces consommateurs. Pour ces clients, c’est surtout le levier prix de la promotion qui entre en considération. Avec des niveaux de réduction moindres, la chasse aux promotions sera moins avantageuse. Les écarts entre les enseignes seront aussi moins évidents.
Dès lors, comment ces clients promophiles vont-ils réagir ?
3 scénarii sont envisageables :
- Ils vont acheter moins : si une partie des produits achetés en promotion constituait une sorte de « bonus », qu’ils pouvaient se permettre justement en raison de prix réduits, il est possible que ces consommateurs achètent moins. Ils préféreront peut-être se priver de certains produits pour s’en tenir aux achats essentiels.
- Ils vont acheter ailleurs : dans la même logique, si les promotions ne font plus (ou peu) de différence, ces consommateurs peuvent être tentés de choisir une enseigne avec une image-prix différente, connue pour ses prix bas. Typiquement, ils peuvent se tourner vers des enseignes discount ou vers des solderies, comme Action, pour l’achat de produits DPH à prix bas.
- Ils vont se tourner vers les produits MDD : les marques de distributeurs gagnent déjà du terrain sur les marques nationales dans l’alimentaire. Elles pourraient aussi tirer profit de la nouvelle loi sur les produits DPH. En effet, ces produits jouissent d’un positionnement prix bas et d’un bon niveau de qualité perçue.
Loi Egalim III : quels enjeux pour les retailers ?
Si la loi Descrozaille exerce une influence sur les comportements d’achat des consommateurs, les retailers doivent anticiper ses impacts et faire évoluer leurs stratégies.
On l’a vu, les impacts diffèrent selon les typologies de consommateurs. En amont, les enseignes doivent donc segmenter leurs bases de clients. Elles peuvent ensuite analyser les réactions des différents segments à l’encadrement des promotions et mettre en place des actions spécifiques pour chaque catégorie de clients.
Il est certain que le levier prix de la promotion devient plus difficile à manier, puisque les niveaux de promotion sont désormais bornés. Or, les distributeurs avaient tendance à mettre en place des opérations promotionnelles pour attirer de nouveaux clients en magasin ou générer des achats non anticipés lors du passage en point de vente.
La fin des grosses promotions soulève donc deux défis majeurs :
- Attirer les clients promophiles en point de vente
- Fidéliser les clients (autrement que par les promotions)
Pour relever ces défis, les retailers doivent repenser leurs stratégies d’acquisition et de fidélisation.
Comment s’adapter aux défis soulevés par la loi Descrozaille ?
Repenser les mécaniques promotionnelles
Bien que les promotions soient désormais limitées, les retailers ont encore la possibilité d'offrir des réductions jusqu'à 34%. Plutôt que de miser uniquement sur des réductions massives, les distributeurs peuvent proposer une nouvelle variété d'offres promotionnelles : offres groupées, remises conditionnelles, avantages exclusifs pour les membres des programmes de fidélité, …
Jusqu’ici, les mécaniques promotionnelles reposaient presque exclusivement sur le prix. A terme, il est probable que la promotion devienne multifactorielle. En effet, l’essoufflement des prospectus papier (plusieurs enseignes y ont déjà renoncé) ouvre la voie à une digitalisation de la promotion.
Dans un contexte digital, les enseignes peuvent davantage contextualiser les promotions en fonction de leurs typologies de clients. Par exemple, il sera possible de pousser des promotions personnalisées aux clients en fonction de la composition du foyer, de l’âge du consommateur ou de ses préférences d’achat. La promotion générique (la même pour tous) devrait disparaître pour laisser place à des offres contextualisées.
Renforcer l’expérience client
Pour attirer les clients en magasin et les fidéliser, les retailers peuvent aussi miser sur l’optimisation de l’expérience client.
Corollaire du point précédent, l’expérience client doit désormais être omnicanale. Vous pouvez miser sur la publicité digitale pour attirer de nouveaux clients en point de vente.
Le prospectus digitalisé peut servir à mettre en avant des promotions sur des produits d’appel pour attirer en magasin. Mais, dans un second temps, c’est aussi l’expérience en magasin qui incitera le consommateur à revenir ou non.
Optimiser sa stratégie de pricing
Pour les consommateurs en quête de bonnes affaires, la recherche des meilleurs prix est une motivation puissante. A la chasse aux promotions succédera peut-être une chasse aux bons prix.
Il est possible que les consommateurs promophiles (ou, au moins, une partie d’entre eux) se détournent des promotions, qui seront moins différenciantes que par le passé. Peut-être se stabiliseront-ils sur l’enseigne (ou le point de vente) qui, à leurs yeux, pratique les prix les plus justes.
Dans cette optique, vous pouvez affiner votre stratégie de pricing pour renforcer votre image-prix auprès de ces consommateurs.
Adapter les programmes de fidélité
Le plafonnement des promotions est un frein à l’acquisition de nouveaux clients. Avec la nouvelle loi, il devient plus compliqué d’attirer les clients promophiles. Mais, en parallèle, la fin des grosses promotions pourrait aussi encourager la fidélisation, en rendant les clients moins volatils.
Pour profiter de cet effet, les enseignes peuvent renforcer leurs mécaniques de fidélisation et mieux récompenser les clients récurrents. Rehausser les contreparties transactionnelles des programmes de fidélité est aussi un moyen de « contourner » la fin des grosses promotions. Vous ne pouvez plus communiquer sur des promotions massives. En revanche, vous pouvez récompenser vos clients fidèles avec des réductions sur certains produits.
Par ailleurs, si les promotions ne se différencient plus par le prix, vous pouvez vous distinguer par la pertinence des offres. Cette mécanique est d’autant plus redoutable sur vos clients encartés que vous connaissez leurs préférences d’achat. Vous êtes donc en mesure de leur adresser des promotions ciblées. Intéressant quand on sait que les clients reprochent souvent aux programmes de fidélité leur manque de personnalisation.
La loi Descrozaille suscite des interrogations chez les enseignes de grande distribution. L’encadrement des promotions risque d’impacter les habitudes d’achat de certaines catégories de consommateurs, avec des conséquences sur le trafic en magasin et le panier moyen.
Pour les enseignes, cette nouvelle loi, qui s’ajoute aux lois Egalim sur les produits alimentaires, invite à repenser les mécaniques promotionnelles. Les retailers ne pourront plus se démarquer par l’ampleur des promotions. En revanche, ils peuvent sortir la promotion de la seule logique de prix pour aller vers des offres personnalisées.
Cette logique de personnalisation pourrait prévaloir aussi dans les programmes de fidélisation, avec des promotions contextualisées en fonction des historiques d’achat, par exemple.
Crédit photo: Shuttersotck / ezphoto